Le Lycée Autogéré de Paris est un lieu unique à Paris. C’est une des rares institutions au fonctionnement alternatif au sein du service public. Ses innovations pédagogiques, apparaissent comme des solutions pertinentes à la crise du système éducatif. Pourtant, le rectorat de Paris, alors même qu’il prétend tenir à son existence, s’attaque aux principes fondamentaux de son expérience.

En 1982, pour penser l’école différemment par l’expérimentation et avec l’ouverture permise par le ministre l’Éducation Nationale Alain Savary, des collectifs militants et pédagogiques, composés de professeurs et d’élèves, se sont retrouvés autour du projet de « changer l’école ». C’est ainsi que sont créés quatre établissements expérimentaux : le Lycée Expérimental de Saint-Nazaire (LXP), le Centre Expérimental Pédagogique et Maritime d’Oléron (CEPMO), le Collège-Lycée Expérimental d’Hérouville-Saint-Clair (CLE) et, sous l’impulsion de Jean Lévi, le Lycée Autogéré de Paris (LAP).

Installé au 393 rue de Vaugirard, dans le 15e arrondissement de Paris depuis 1984, le LAP, avec ses 240 élèves et ses 25 professeurs, fonctionne de manière autonome et sans chef d’établissement : tous les membres du lycée se partagent responsabilités, tâches du quotidien et prises de décisions, en plus des activités pédagogiques. Ce projet forme un tout cohérent dont on ne peut retirer aucun des aspects sans en dénaturer l’essence.

Au LAP, l’éducation à la démocratie ne se fait pas au travers de cours, mais elle est ancrée dans la pratique quotidienne : élèves et professeurs sont amenés à exprimer leurs points de vue et à décider ensemble du fonctionnement collectif. Cette organisation se fait au travers d’instances spécifiques : les groupes de bases se réunissent pour discuter et décider par le vote (une personne, une voix) de la vie et des règles collectives, tandis que les tâches de gestion (administration, budget, entretien…) sont réparties entre les commissions composées d’élèves et de professeurs.

Autogestion et coopération ne sont pas des moyens qui pourraient être remplacés par d’autres, mais bien des principes fondateurs de la structure : ils ne peuvent exister que dans le cadre d’un espace de liberté pour les élèves. Ainsi, un des piliers du projet est la libre fréquentation des activités. Ce principe repose sur la présence volontaire et non contrainte par l’autorité. Il n’y a pas de sanctions institutionnelles des absences et elles ne sont pas communiquées aux parents.

Pour des élèves précédemment mis en échec, en rupture, en souffrance dans le système scolaire, ces principes sont indispensables à leur retour à l’école, à leur reprise de confiance et, plus fondamentalement, à leur épanouissement et à leur émancipation.

Nombre d’anciens et d’anciennes élèves témoignent de l’importance qu’a eu le LAP dans leur parcours : « J’ai grandi, j’ai appris, j’ai compris, je me suis développé » ; « Ce lycée m’a sauvé la vie » ; « Je me suis réconcilié avec le monde adulte pour mieux y rentrer » ; Les parents aussi reconnaissent le rôle qu’a joué le LAP dans la vie de leur enfant : « Le collège a été quatre ans d’enfer et là il n’y a plus de conflits à la maison » ; « Ne plus recevoir de bulletins de notes ni de relevés d’absence a tout changé » ; « Il n’allait plus au collège et, avec le LAP, chaque matin il est parti avant moi »…

Pourtant, ce projet qui fait ses preuves depuis 40 ans, est actuellement attaqué. Déjà, en juin 2022, le Recteur de l’Académie de Paris a refusé de renouveler la convention qui depuis 2010 encadrait le statut dérogatoire du lycée. En juin 2023, après un conflit au sein de l’équipe éducative et en réponse à une question écrite de la députée Eva Sas, le ministre Pap Ndiaye remettait en cause plusieurs aspects du fonctionnement du LAP : « l’absence de définition du périmètre de l’expérimentation », « les temps d’apprentissage disciplinaire en deçà des volumes horaires réglementaires », « la possibilité affichée de ne pas s’inscrire au baccalauréat », « l’absence d’obligation de présence pour les élèves », « des manquements en matière de sécurité dans les locaux » et enfin « le statut particulier de cet établissement ne permettant guère une forme de régulation interne ». Ces affirmations ne semblent basées que sur une évaluation sommaire rédigée par le Rectorat de Paris durant l’année 2022-2023 sans critère ni aucune période d’observation.

Depuis, une enquête administrative a été diligentée, elle a portée sur les mêmes questions.

A plusieurs reprises, il a été envisagé de faire évoluer l’expérience en lui assignant un chef d’établissement. De plus la cooptation a été suspendue pour l’année 2023-2024 et pour la première fois depuis 40 ans tous les membres de l’équipe n’ont pas le même statut.

Le nouveau ministre va ainsi se prononcer sur l’avenir du LAP alors que son fonctionnement autogestionnaire est fortement altéré et son projet ouvertement remis en cause.

Les attaques contre les lycées alternatifs ne sont pas nouvelles. Le lycée expérimental de Saint-Nazaire a subi, depuis six ans, de nombreuses entraves à son existence dans différents domaines : recrutement des membres de l’équipe éducative par cooptation empêché, moyens médico-sociaux absents, enseignantes et enseignants manquants, sorties culturelles annulées, autonomie de l’établissement remise en cause, qui impactent gravement l’éducation des jeunes…

D’autres expériences comme le collège coopératif d’Aubervilliers ont été arrêtées. Au CLEPT de Grenoble, trois enseignants ont été bloqués dans leur affectation en cette rentrée 2023. Depuis des mois le projet d’expérimentation de l’école Vitruve (Paris 20ème) n’est pas validé.

Comme les autres établissements publics, les expériences subissent des baisses drastiques de moyens et des fermetures. Depuis 2019, le LAP a perdu un demi-poste, le lycée expérimental deux postes. La logique budgétaire passe de plus en plus par une mesure de rentabilité des services publics. Elle est coupée des réalités humaines et, dans son obstination implacable, détruit jusqu’à l’engagement de celles et ceux qui travaillent dans la santé, l’éducation et le social.

L’attaque menée sur le LAP, au niveau économique comme politique, visant à rentabiliser puis à normaliser son fonctionnement, met en péril son existence. Supprimer la libre fréquentation et l’autogestion par la mise en place d’une autorité institutionnelle reviendrait à vider l’expérience de son contenu.

Depuis quarante ans, ministres et recteurs, aux idées politiques et pédagogiques diverses, se sont succédé en confirmant l’intérêt et l’utilité de ce projet d’autogestion au sein de l’Éducation Nationale. Il est incompréhensible qu’un soudain revirement condamne cette expérience.

Élèves, personnels et enseignants sont mobilisés pour défendre les quatre principes inhérents à son projet de pédagogie autogestionnaire :

  • La mixité géographique et sociale des élèves, originaires de toute l’Île-de-France, en âge d’être en seconde ou ayant été inscrit en 3ème et volontaires pour participer au fonctionnement collectif.
  • L’autogestion : les décisions concernant l’organisation interne du lycée sont prises par l’assemblée souveraine du LAP sans validation par une hiérarchie extérieure.
  • La libre fréquentation : l’autonomie des élèves s’appuie sur le fait de choisir librement les activités, sans sanction institutionnelle des absences.
  • La cooptation des professeurs : le recrutement sur les trois académies d’Île-de-France par cooptation permet d’intégrer des professeurs qui portent le projet et y adhérent pleinement.

Rappelons que les quatre lycées expérimentaux de 1982 ont scolarisé des milliers d’élèves. Pour beaucoup, cela a marqué une transformation dans leur vie et le début d’un engagement social ou politique. Alors que la crise du modèle démocratique occidental favorise un repli nationaliste et autoritaire, penser la démocratie comme un enjeu commun apparaît plus que jamais nécessaire. Cela passe évidemment par l’éducation : il est urgent de démocratiser l’École. Pour cela il faut conforter le LAP dans son fonctionnement et permettre l’ouverture de nombreuses expériences éducatives émancipatrices au sein du service public.

Premiers signatures 

Manola Antonioli , professeur de philosophie à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris La Villette – Directrice de programme au Collège International de Philosophie ; Ana Maria Araujo, professeure à la faculté de psychologie, Université de la République, Uruguay ;Romuald Avet, enseignant en psychologie dans un centre de travail social ; Mona Awad, photographe ; Etienne Balibar, philosophe ; Pierric Bergeron, président de la FESPI ; Yves Bernanos,réalisateur; Nicole Blondeau, chercheuse, Laboratoire EXPERICE, Université Paris 8 ; Bruno Boussagol, metteur en scène ; Laurent Cantet, réalisateur ; Samuel Churin, comédien ;Hélène Cixous, écrivaine ; Pascal Clerc, professeur des Universités en géographie Laboratoire EMA CY Cergy Paris Université ;Lucette Colin, psychologue ;Catherine Corsini, réalisatrice ; Michelle Cotinaud, psychanalyste ; Alexis Cukier, maître de conférences en philosophie, Université de Poitiers ; Véronique Decker, militante syndicale et pédagogique, directrice d’école retraitée, autrice ; Bernard Defrance, philosophe, administrateur de la section française de Défense des Enfants International ; Gérard Delbet, enseignant à l’école Vitruve de 1976 à 2012 ; Monique Dental, présidente fondatrice du Réseau Féministe « Ruptures » ; Mathieu Depoil, doctorant en sciences de l’éducation, directeur de La Maison-phare ; Vanessa Desvages-Vasselin, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation université de Rouen Normandie ; Alain Détolle, vice-président de la communauté de commune Creuse Grand Sud,maire adjoint de Faux la montagne – Réseau Repas ; Stéphane Douailler, professeur émérite de philosophie de l’Université Paris 8 ; Arnaud Dubois, professeur en sciences de l’éducation et de la formation, université de Rouen Normandie ; Émilie Dubois, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, université de Rouen Normandie ; Valentin Duchemin, doctorant, ATER en sciences de l’éducation et de la formation, université de Caen-Normandie ; Annie Ernaux, écrivaine prix Nobel de littérature ; Arlette Farge, historienne ; Bernad Friot, sociologue ; Léandre Garcia Lamolla, régisseur de théâtre ; Patrick Geffard, professeur émérite en Sciences de l’éducation et de la formation, Université Paris 8 ; Deborah Gentès, MCF sciences de l’éducation Université Paris 8 Vincennnes-saint-Denis ; Fabien Groeninger, maître de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, université de Montpellier ; Laurent Gutierrez, professeur en sciences de l’éducation et de la formation, université Paris Nanterre ; Françoise Hatchuel, professeur sciences de l’éducation et formation, université Paris Nanterre ; Remi Hess, sociologue ; Nancy Huston, écrivaine ; Sarah Kaminsky, scénariste ; Bérengère Kolly, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, université de Paris Est Créteil ; Philippe Lacadée, psychiatre et psychanalyste ; Geoffroy de Lagasnerie, philosophe et sociologue ; Delphine Leroy, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis ; Michel Lülek, association REPAS ; Dominique Lurcel, metteur en scène et co-fondateur du LAP ; Valérie Marange, psychanalyste ; Olivier Martin, association REPAS ; Philippe Meirieu, professeur honoraire en sciences de l’éducation; Gilles Monceau, professeur en sciences de l’éducation et de la formation, CY Cergy Paris Université ; Didier Moreau, professeur des universités de philosophie Paris VIII Vincennes Saint-Denis ; Bernard Nauer, réalisateur ; Laurent Ott, philosophe social, fondateur d’intermède Robinson ; Delphine Patry, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, université de Rouen Normandie ; Geneviève Pezeu, agrégée d’histoire et géographie docteure en Sciences de l’éducation ; Anne Querrien, sociologue et urbaniste ; Yves Reuter, professeur émérite de l’université de Lille; Xavier Riondet, professeur en sciences de l’éducation et de la formation, université Rennes 2 ; Bruno Robbes, professeur en sciences de l’éducation et de la formation, CY Cergy Paris Université ; Christophe Roiné, professeur des universités en sciences de l’éducation et de la formation à l’université de Bordeaux ; Abdou Seck, délégué général de la FESPI ; Inger Servolin, productrice ; Jean-Pierre Siméon, poète et dramaturge ; Bruno Tackels, philosophe ; Christian Vaillant, association Repas ; Patrice Vermeren, professeur émérite de philosophie de l’Université Paris 8 ; Audric Vitiello, maître de conférences des Universités en Science politique, université de Tours ;Christiane Vollaire, philosophe; Alain Vulbeau, professeur émérite, CREF, université Paris Nanterre ; Sylvain Wagnon, professeur en sciences de l’éducation et de la formation, université de Montpellier ; Jean Michel Zakhartchouk, professeur honoraire et militant pédagogique.

Collectifs :Association autogestion ; Association REPAS – Réseau d’échange et de pratiques alternatives et solidaires ; CGT Educ’Action Paris ; Collectif Questions de classe(s) – N’autre école ; CNT-STE 75 ; FCPE Paris ; Fédération Éducation Recherche de la CNT-SO, ICEM ;SUD éducation Paris.

Lien pour la version publiée en Libération le lundi 28 novembre 2023